Parler de Marie-Ange Sebasti n’est pas simple. Elle ne parlait jamais d’elle-même, à peine quelques anecdotes, quelques souvenirs ; elle préférait parler des autres. Elle avait ce bleu regard qui ne ment pas, cette parole rare, douce et précise, héritage corse, et cette réserve des personnes de qualité, héritage lyonnais. Lyon était son île, la Corse était sa ville.

Elle avait l’amour de la langue et des mots. Quand sa grand-mère lui avait dit qu’elle écrivait en vers, elle avait dit que, de son côté, elle allait écrire « en bleu ». Mais c’est bien en vers qu’elle se sera exprimée toute sa vie, avec un premier recueil alors qu’elle avait à peine vingt ans. Jamais elle n’aura quitté la poésie, jamais la poésie ne l’aura quittée. Une production lente, sobre, jamais forcée. A peine un recueil tous les trois ans, fait de phrases concises, de vers lapidaires, juste l’essentiel, trois mots qui touchent en plein cœur, la moitié d’une phrase que l’on poursuivra les yeux fermés en murmurant et que l’on finira avec un demi-sourire.

La pierre et le sable contiennent des sentiments, délivrent des informations, marquent le passage des hommes et du temps. Elle les décrit comme on décrit des visages, par exemple dans Marges arides¸ qui est un terme emprunté aux archéologues pour désigner les zones où Bédouins et sédentaires se rencontraient pour échanger, parler et faire commerce.

C’est qu’elle savait faire parler la pierre ! N’était-elle pas spécialiste de l’épigraphie hellénistique à la Maison de l’Orient ? Les textes anciens n’avaient pas de secrets pour elle, et s’il y en avait eu, Yves, son archéologue de mari, l’y eût initiée. Le site de Larsa en Irak qu’il fouilla de nombreuses années et qu’elle visita souvent l’avait certainement inspirée.

J’ai de la difficulté à dire tout ce que je sais de cette merveilleuse petite dame blonde et sereine. Quand j’avais un doute sur un manuscrit, je le lui faisais lire, et nous étions toujours d’accord, ce qui ne me facilitait pas toujours la tache d’ailleurs. Maintenant qu’elle n’est plus là, je lis mes manuscrits seul et je me dis chaque fois : « Qu’en penses-tu Marie-Ange ? ».

Il me reste sa voix et son regard bienveillant en mémoire. Combien de temps conserve-t-on la mémoire de la voix d’un être cher qui disparaît ? Mais, si j’oubliais le timbre doux et l’éloquence mesurée de Marie-Ange Sebasti, il me resterait de toute façon tous ses textes que j’ai publiés.

  • Marges arides
  • Villes éphémères
  • Bastia à fleur d’eau
  • Venise février
  • Haute plage
  • Cette Parcelle inépuisable
  • La Connivence du marchand de couleurs
  • La Caravane de l’orage

Elle nous a quittés le 19 janvier 2022.